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Chants d’offrandes (Gitanjali) – Tagore & Lalan | Concert de Parvathy Baul et Béla Wittek en Hongrie

Dernière mise à jour : 22 janv. 2021

Article rédigé par Zsófia Rideg, dramaturge hongroise Traduit en français par Claire Sondag

 

En avril 2019, le maître Parvathy Baul a offert aux Hongrois intéressés deux merveilleuses semaines d’initiation à la tradition bâule...


Au cours de ces trois dernières années, Parvathy s’est rendue en Hongrie à plusieurs reprises, donnant des concerts, animant des retraites et offrant des temps de rencontre individuelle. Ces visites ont peu à peu fait germer l’idée de créer une tournée avec un concert qui serait consacré aux chansons de Rabindranath Tagore. Parvathy Baul a soulevé l’importance que ces concerts incluent également la contribution d’un musicien local, qui sera finalement le guitariste, Béla Wittek (1.).

 

Les lignes suivantes, rédigées par mon ami indologiste, le professeur Imre Bangha (2.), mettent en lumière pourquoi un tel concert et une telle collaboration revêtent une importance singulière pour nous, Hongrois :


"Les contacts culturels directs entre l’Inde et la Hongrie remontent à l’époque du voyageur-érudit Alexander Csoma de Kőrös (1784-1842), auteur de la première grammaire et du dictionnaire savant tibétain. Csoma a travaillé principalement à Calcutta entre 1828 et 1842 et a appris le sanskrit et le bengali entre autres langues. Au XIXe siècle — à l’exception des récits de certains voyageurs — la littérature sanscrite représentait la culture du sous-continent indien pour les Hongrois. Le seul spécimen de littérature contemporaine existant et datant d’avant 1913 était le roman d’aventure anglais '1001 Indian Nights de Sharat Kumar Ghosh' (1883-?), traduit en 1908. Le Prix Nobel décerné à Tagore a fait prendre conscience à un large public hongrois que l’Inde contemporaine possédait aussi une littérature dynamique, qui a été cependant, la plupart du temps, perçue comme la continuation d’une Inde intemporelle et, dans la première moitié du siècle, a été représentée exclusivement par les auteurs bengali./… / Les intellectuels hongrois ont commencé à percevoir les changements dans la littérature mondiale grâce au prix Nobel de Tagore. Deux semaines après l’annonce du Prix, un grand poète hongrois, Mihály Babits (1883-1941), a publié la traduction en prose de trois poèmes en anglais et a écrit un article sur Tagore, qui — à la suite de Yeats — le comparait à St. François d’Assise. Bientôt, en 1914, Ferenc Kelen (1869-?), le traducteur hongrois de Schopenhauer et Oscar Wilde, produisit un volume de poèmes de Rabindranath, en hongrois. /…/ Lors de sa tournée européenne en 1926, Tagore séjourna en Hongrie entre le 26 octobre et le 12 novembre. Sa santé étant défaillante, il est tombé malade. Il quitta donc Budapest pour un sanatorium à Balatonfüred, situé près du lac Balaton. Les dix jours d’automne qu’il a passé sur place, près d’un des plus grands lacs d’Europe, ont créé une profonde impression en lui. /… /« J’ai vu presque tous les pays du monde, mais nulle part je n’ai vu cette si belle harmonie du ciel et de l’eau, dont j’ai eu le privilège de jouir sur le rivage de Balatonfured, celle-ci emplissant mon âme de ravissement (Tagore). » 'La belle promenade de la rive du lac Balaton' a été nommée ainsi d’après Rabindranath Tagore. La maladie cardiaque du poète hindou de renommée mondiale fut traitée ici, en 1926. Il a terminé 'Les lucioles' lors de ce séjour à Balatonfüred. Après sa guérison, il a planté un tilleul dans le parc naturel. Cet acte fut motivé par une vieille légende indienne qui dit que, si l’arbre prend racine, son planteur vivra longtemps, afin qu’il ou elle puisse voir les nouveaux germes. « Si je ne suis plus présent dans ce monde, ô mon arbre, que tes nouvelles feuilles rouillent au printemps au-dessus de ceux qui en errent aux abords; le poète vous a aimé jusqu’à sa mort." - écrit le poète. En fait, Tagore a vécu encore 17 ans après avoir planté l’arbre. Un bosquet hindou a été créé autour de cet arbre commémoratif et de la statue du poète qui fut érigée dans les dernières décennies. Plusieurs présidents de la République indienne, dont Indira Gandhi, ont salué la mémoire de Tagore en plantant des arbres."


Bien que, Rabindranath Tagore ait été célébré en Hongrie comme un poète, peu savent qu’il était aussi un compositeur prolifique. Ses quelque 2230 chansons, nommées 'Rabindra Sangeet', avec leurs caractéristiques distinctives sont très populaires en Inde, en particulier au Bengale occidental et au Bangladesh. Dans le concert que nous avons proposé, le public a pu entendre les chansons de différents opus de Tagore : Gitanjali, Giticharcha, Gitponchashika, Robicchaya. La poésie de Tagore a été profondément influencée par les chants bâuls de sa terre natale.


C’est pourquoi les performances en Hongrie de Parvathy Baul revêtent une signification si profonde. Le spectacle a été construit autour d’un dialogue imaginé non seulement entre les univers de Tagore et Fakir Lalan (3.), mais aussi entre leur musique et les chansons folkloriques hongroises. Ces deux mondes musicaux résonnent profondément entre eux, notamment à cause du caractère pentatonique des chansons folkloriques hongroises. Ce lien particulier a pu être ressenti par Tagore, qui fut ravi par la tradition musicale locale lors de son séjour.

 

Le concert a été présenté quatre fois, d’abord à l’occasion d’un atelier musical mené par Parvathy dans une école de langues, en centre ville. Au cours de cet atelier, Parvathy interpréta des chants de Tagore, le 'Baul Mukunda Das' et le 'Hindou mysitic Mirabai'. La deuxième fois, les chansons ont été appréciées par un autre public enthousiaste, cette fois lors du Festival international MITEM organisé par le Théâtre National hongrois. Pour la troisième représentation, Parvathy et Wittek se sont produits dans un cadre littéraire, au sein de l'enceinte éditoriale de la revue hongroise de grande réputation , Új Forrás (Nouvelle Source). Enfin, quelle belle occasion que de clore la série de concerts à Balatonfüred, fameux lieu que Tagor affectionnait tant. Sur place, Parvathy a présenté un chant d'offrande à l’arbre planté par Tagore.



Suite à ces représentations, Wittek a avoué qu’il attendait depuis deux décénies de pouvoir performer aux côtés d’une interprète d’un aussi grand talent. Et pour moi, ce fut un sentiment indicible que d’être avec mon maître Parvathy, sur la même scène, en tant que traductrice des textes des chansons, récitant les poèmes en hongrois. Ce sentiment peut être encore mieux décrit par les mots de Tagore, qui confesse :


"Je ne sais pas comment tu chantes, mon maître!

J’écoute toujours dans un étonnement silencieux.


La lumière de ta musique illumine le monde.

Le souffle de vie de ta musique court de ciel en ciel.


Le flux sacré de ta musique traverse tous les obstacles pierreux

et se précipite au-delà.


Mon cœur désire ardemment se joindre à ton chant,

mais lutte vainement pour une voix.


Je voudrais parler, mais le discours ne se transforme pas en chanson, et je crie perplexe.


Ah, tu as rendu mon cœur captif, dans les mailles infinies de ta musique, mon maître! »


(Rabindranath Tagore : Gitanjali, 38.song)


 

1. Béla Wittek fut diplômé de la Liszt Ferenc Music Academy de Budapest en 1987. À partir de 1994, il a été initié la musique indienne classique et à la sitar par András Kozma, ancien élève de Ravi Shankar. En 2000, il fonde le groupe Talea, dont le répertoire se compose de musiques du Moyen Âge et de la Renaissance revisitées, de musique de cour de Transylvanie et de Haute-Hongrie du XVIe et XVIIe siècle , ainsi que de musique folklorique hongroise. Béla Wittek a appris à jouer plusieurs autres instruments de manière autodidacte. Pour ce spectacle, il a créé des arrangements musicaux autour des chants de Tagore et Lalan, qu’il a interprété sur un oud arabe.

2. Imre Bangha - The Tree that Set Forth : The Hungarian Tagore

(Faculté d'études orientales, Université d'Oxford, L'institut Oriental, Pusey Lane, Oxford)



3. Lalan (1772(?) – 17 octobre 1890) était l’un des chanteurs Bâuls les plus influents, aussi appelé saint, fakir, sahn ou mahatma. Il fut un réformateur social et un penseur, il a écrit des chansons et est devenu une figure emblématique de la culture bengali. Les chants de Lalan parlent d'un monde, où chaque religion et chaque croyance vivent en harmonie les unes avec les autres. La dernière période de sa vie, il l'a passée dans le domaine de la famille Tagore, où le dessin à l’encre ci-dessus fut d’ailleurs réalisé par Jyotirindranath, frère de Rabindranath. C’est le souvenir le plus crédible de Lalan, en image, que nous ayions. Le nombre des chansons qu'il a écrites est estimé entre 2000 et 10000, mais seulement 800 ont été clairement attestées comme provenant de lui. Il n’écrivait pas ses musiques, mais ses apprentis auxquels il les transmettaient oralement, les notaient.


Crédits photos : Zsolt Eöri-Szabó, Ágnes Gesztes

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